Dr Rauchs, avec toute la sincérité que je vous dois, j’aimerais vous remercier. Dans votre seconde lettre ouverte intitulée “Osez !”, vous avez pu mettre le doigt exactement à l’endroit qui fait mal actuellement en pointant le clivage. Permettez-moi d’oser en profiter pour m’étendre sur cette notion.
Dans vos lignes, comme dans celles des médias et nombreuses personnalités y citées, ce terme fait référence à une division, une fracture, au niveau sociétal dans le cas qui nous intéresse, créant ainsi deux “parties” au sein d’une même population, supposée unie derrière son gouvernement. Comme vous le dites de manière très pertinente, « […] si le médecin doit avant tout s’occuper de la santé du corps de son patient individuel, [les membres du gouvernement ont] été élu.e.s pour [s’]occuper de la santé du corps social […] ». Vous ajoutez : « Actuellement, celle-ci est, […], beaucoup plus atteinte que la santé individuelle […] ». En tant que psychologue diplômée et psychothérapeute, et citoyenne attentive aux dynamiques socio-politiques, je ne peux que partager dans son intégralité cette analyse de l’état de santé actuel de la société.
En psychanalyse – comprenez-moi bien, je n’ai aucunement la prétention de vous instruire, seulement de mettre en mots ce que vous avez abordé – la notion de clivage ne s’arrête pas au niveau de la fracture. Selon cette approche, par ailleurs centrée sur l’individu, le clivage est défini comme un mécanisme de défense intrapsychique qui sert à appréhender la réalité, et plus précisément à diminuer l’angoisse qui se crée lorsqu’on se voit confronté à une réalité qui fait naître en nous des sentiments contradictoires, notamment en faisant comme si l’une des deux émotions n’existait pas. Transposé à la société, cela donne ceci : la réalité veut qu’il y ait des arguments pour et des arguments contre la vaccination comme stratégie unique de sortie de pandémie COVID. Or, la maladie génère une angoisse existentielle telle que considérer les contre-arguments équivaudrait, au niveau du ressenti, à creuser sa tombe. Ainsi, la société décide, plus ou moins consciemment, d’étouffer cette frange minoritaire (mais de moins en moins) que sont les non-vaccinés, pour enfin pouvoir prendre le contrôle sur le virus (ce qui en soi est une aberration, mais cela dépasserait le cadre de cette analyse) par une stratégie. Avoir un plan, c’est rassurant. Même s’il est complètement détaché de la réalité car, on est d’accord, on ne fera ni disparaître les arguments contre la stratégie basée sur la seule vaccination, ni les non-vaccinés qui représentent ces arguments.
Mais c’est justement cette “solution” que vous proposez parce que, dans votre imaginaire, elle mettrait fin au clivage sociétal en faisant justement disparaître les non-vaccinés. Dans la logique de ce qui précède, ces propos m’amènent à m’interroger sur la souffrance de l’individu qui les relate. En effet, prôner à ce point et avec cette véhémence « […] une obligation vaccinale générale et, je dirai même, universelle, c’est-à-dire de la terre entière » pourrait bien témoigner d’une pensée psychotique, elle-même clivée (entre le bien qu’est la vaccination universelle et le mal que sont les non-vaccinés), interdisant toute nuance (vacciner les personnes les plus vulnérables par exemple), et relevant d’un déni total d’une partie bien réelle de la réalité (les arguments contre la vaccination de masse en période épidémique ou encore les nombreuses études et exemples de cas illustrant la médiocrité des vaccins). Ces mots, sous- tendus par les mécanismes de défense susmentionnés, feraient émerger un énorme besoin de contrôle (simplement vacciner tout le monde et qu’on n’en parle plus, car au fond, c’est là le message contenu dans votre seconde lettre) d’autant plus insistant que l’angoisse refoulée serait intense.
C’est aussi dans ce contexte que votre désir-même de mettre à part la santé psychologique des individus ([…], santé psychologique mise à part. »), bout de phrase a priori choquant venant de la part d’un psychiatre psychanalyste, prendrait tout son sens. Comment, en effet, garder ce semblant de contrôle, évoqué plus haut, lorsque “le monde” se rend compte de notre propre psychose ? Comment alors maintenir notre illusion de pouvoir et continuer à étouffer l’angoisse ? Mis dans ce contexte, l’injonction de “ne surtout pas regarder l’individu” serait parfaitement compréhensible.
Et c’est ainsi que, dans mon esprit, vous en seriez arrivé à rédiger cette lettre. À écrire ces propos exempts de toute empathie, empreints d’une abondance nauséabonde de mépris, et gonflés par un excès d’hybris qu’on aurait déjà du mal à pardonner à un simple citoyen. La violence de ces mots reflèterait-elle une tentative désespérée de ne pas sombrer dans l’abîme de l’angoisse qui s’ouvrirait devant vous ? Qui vous amènerait à accepter de mépriser et les membres du Gouvernement luxembourgeois, et vos confrères chargés d’une mission, et les citoyens de ce pays. À accepter en outre de mépriser, et de porter une atteinte certaine à, la déontologie et l’éthique de la profession au nom de laquelle vous vous exprimez ? Ces mots blessants, rédigés en réalité par une âme en souffrance ?
Dr Rauchs, j’espère sincèrement avoir tort. J’espère que vous vous êtes juste laissé emporter par une passion qui vous est propre et que vous réalisez, en vous relisant, l’erreur de forme que vous avez commise en vous exprimant ainsi. Car erreur il y a : ces mots, tels une claque, portent un coup bien bas à l’ensemble des citoyens luxembourgeois, peu importe leur statut, vaccinal ou autre.
Et pour cela, et peu m’importe en fait la raison, je compte sur vos amendements.
Josepha Broman, citoyenne offusquée, psychologue diplômée et psychothérapeute
Voir aussi: “Obligés, nous ?“, article qui répond à une première lettre ouverte du Dr Paul Rauchs